Le billard américain se distingue des autres types de billard par la variété de ses modes de jeu. A part le billard français, aucun type de billard ne propose autant de modes de jeu différents ! Passons en revue les principaux.
En se basant sur les types de jeu qui font l’objet de compétitions régulières, on considère qu’il y a quatre disciplines principales :
Le jeu de la 8 (en anglais « 8-Ball Pool » ou « 8-ball« )
Le jeu de la 8 est sans doute la plus jouée des principales disciplines : on la pratique en compétition, dans les bars, dans toutes les salles du monde. La 8 est à la fois une formidable porte d’entrée pour débuter le billard américain et un jeu qui dévoile progressivement toute sa subtilité technique et stratégique.
La règle de base est simple : quinze billes numérotées de 1 à 15, divisées en deux camps, les pleines numérotées de 1 à 7 (en anglais « solids« ) et les rayées, numérotées de 9 à 15 (en anglais, « stripes« ). Le joueur qui empoche les 7 billes de son camp, puis la bille n°8 le premier sans faire de faute sur la 8 est déclaré vainqueur.
La 8 présente la particularité d’être un jeu à l’annonce (en anglais « call shot game« ) : chaque tir doit être précisé avant d’être joué (ex. je vais jouer la bille n°3, j’annonce « la 3 dans la poche du fond ») et si le tir ne correspond pas à ce qui a été annoncé, le tour passe. Dans les faits, la grande majorité des coups sont suffisamment évident pour ne pas avoir à les préciser et l’annonce concernera surtout les shoots les moins clairs (ex. une bande, une bille qui va empocher une autre bille, un jump, etc.) et éviter les tirs de pure chance. L’annonce peut d’ailleurs être source de confusion : en effet, dans les bars des Etats-Unis, la 8 est beaucoup pratiquée dans le cadre de pari et l’annonce doit être extrêmement précise sous peine de déclencher un litige avec l’adversaire. Si vous envisagez de poser un billet de $10, mettez-vous bien d’accord avec votre adversaire au préalable si vous voulez éviter de finir aux urgences !
Les règles communes (valables pour la grande majorité des tournois) sont celles approuvées par la WPA (World Pool Association), l’organisme de régulation du billard américain. En Europe, l’EPBF (European Pocket Billiard Federation) est affilié à la WPA et applique ses règles. Noter qu’il existe de nombreuses variantes officielles de la 8 à travers le monde : ainsi les principales leagues amateures américaines (VNEA, UPA, APA, etc.) ne jouent pas exactement selon les règles définies par la WPA et imposent leurs propres variantes, y compris lors de leurs compétitions !
Du point de vue du jeu, la 8 est un bon compromis entre technique et stratégie : l’empochage n’est pas trop restreint (la plupart du temps, même si vous ratez un replacement, vous avez toujours une bille de disponible) et la stratégie permet de développer un jeu varié à base d’attaque et de défense, en évitant l’écueil des coups hasardeux (en anglais « flukes« , coup de bol).
Point(s) d’attention : La difficulté principale provient de la gestion du trafic sur la table : plus le joueur empoche les billes de son groupe, plus les replacements deviennent délicats et nécessitent de contourner les billes de l’adversaire. Du coup, plus un joueur fera une erreur tard dans sa série, plus il donnera d’armes à son adversaire pour jouer l’attaque ou la défense.
Stratégie : La stratégie prioritaire consiste à laisser le moins possible jouer votre adversaire lorsque vous aurez la casse : le joueur va chercher la « casse ferme » (en anglais « break and run out« ), c’est à dire à empocher toutes ses billes à la suite d’une casse réussie sans jamais laisser son adversaire toucher la table. Pour cela, le joueur va élaborer un schéma d’ordre de pochage des billes (en anglais, « pattern« ) dans lequel il va déterminer l’ordre dans lequel il va empocher les billes et la manière dont il va se replacer à chaque fois. A la 8, on considère qu’il est primordiale de toujours se replacer sur plusieurs billes lorsqu’on attaque afin d’avoir des alternatives en fonction de la qualité du replacement.
Le coup le plus important : la casse. C’est elle qui va déterminer toute la suite du jeu. La casse à la 8 est la plus aléatoire parmi les modes de jeu présentés ici car il y a 15 billes à déplacer et il faut un rack bien monté pour éviter de gâcher son effort. Et cela, en tâchant d’empocher au moins une bille, tout en gardant la blanche au centre de la table pour se laisser un maximum d’opportunités. La casse ne s’improvise pas et s’entraîne : un joueur comme Shane Van Boening est un artiste de la casse, qu’il travaille plusieurs heures par semaine !
La règle du jeu officielle WPA (en anglais) : https://wpapool.com/rules-of-play/#eight-ball
Le jeu de la 9 (en anglais « 9-ball pool » ou « 9-ball« )
Le jeu de la 9 est le mode de jeu le plus joué en compétition : les plus grands tournois internationaux se jouent principalement à la 9, qu’il s’agisse de la Mosconi Cup, de la World Cup of Pool, des Eurotours ou encore du Derby City Classic. Même l’US Open (pour lequel les compétitions sont réparties par discipline) privilégie la 9 dans sa couverture médiatique. Autant dire que, si vous cherchez à faire de la compétition, il y a de fortes chances que vous dussiez jouer à la 9 !
Les règles communes (valables pour la grande majorité des tournois) sont celles approuvées par la WPA En Europe, l’EPBF est affilié à la WPA et applique ses règles lors des Eurotours, des tournois prestigieux donnés dans toute l’Europe et dont les résultats sont qualificatifs pour la sélection européenne de la Mosconi Cup (LA grande compétition de billard américain opposant les Etats-Unis à l’Europe à la 9 sur 4 jours de compétition).
Le 9-ball est un jeu du type rotation : on empoche les billes dans l’ordre de leur valeur. Ici, il faut jouer 9 billes numérotées de 1 à 9 dans l’ordre croissant de leur valeur (de la plus petite à la plus grande) jusqu’à la 9. Le vainqueur est celui qui empoche proprement la 9, qu’on désigne sous le terme de « money ball » car c’est la seule qui compte vraiment. Cependant, contrairement à la 8, les combinaisons sont autorisées : par exemple, je dois jouer la 2 (plus petite bille sur la table) mais si je touche d’abord la 2, puis que je rentre la 9, j’ai gagné la partie car j’ai bien touché en premier la bille avec la plus petite valeur sur la table ! De plus, il n’y a pas d’annonce et il est tout à fait possible de gagner la partie dès la casse si un heureux hasard vous permet d’empocher la 9 ! Cela en fait un jeu particulièrement spectaculaire qui favorise les retournements de situation. C’est sans doute pour cette raison que la 9 est la discipline la plus médiatisée du billard américain.
Du point de vue du jeu, la 9 est une discipline qui demande un niveau technique éprouvé : les billes doivent être empochées dans l’ordre de leur valeur et leur position sur la table est déterminée par la casse. Le joueur doit donc maitriser le replacement à la perfection pour à la fois être en capacité de jouer la bille à la plus petite valeur ET être en capacité de se replacer sur la suivante. La défense est possible en début de jeu (lorsque la plupart des billes sont sur la table) mais devient de plus en difficile à mettre en œuvre au fur et à mesure que les billes sont empochées.
Point(s) d’attention : la difficulté principale est liée au replacement d’une bille à l’autre, en particulier en début de partie lorsqu’il faut gérer le trafic. Lorsque le jeu s’éclaircit à mesure qu’on rentre les billes, les replacements deviennent plus simples. Mais attention, comme l’Anneau Unique, la 9 est traître : une erreur commise en fin de partie se paiera cash et votre adversaire sera ravi de n’avoir plus qu’à empocher cette 9 que vous lui avez gentiment laissé en raison d’un manque de concentration passager après avoir fait tout le boulot ! Et ne parlons pas de ce fluke honteux qu’il a eu en jouant la 3 et de cette 9 que la blanche eu le bonheur de heurter sur son chemin avec suffisamment d’entrain pour la pousser dans une poche !
Stratégie : comme pour la 8, la stratégie prioritaire consiste à rapidement choisir entre l’attaque et la défense pour débuter la partie, et si l’attaque est choisie, de déterminer quel pattern (qui se limite ici au replacement et non à l’ordre des billes) on va suivre pour enchaîner toutes les billes jusqu’à la 9 et valider le Break and run out !
Le coup le plus important : La casse, la casse, la casse ! Encore plus qu’à la 8, la casse va déterminer la position des billes pour le reste de la partie et comme l’ordre d’empochage est déterminée d’avance, vous devrez produire une casse de qualité, où l’on rentre à minima une bille tout en conservant le contrôle de la blanche pour ne pas s’éloigner trop de la bille à la plus petite valeur. Sachez cependant que la casse de la 9 est plus facile à anticiper que celle de la 8 : en effet, un shoot bien positionné sur un rack bien monté garantit presque à 100% d’empocher au moins une bille.
La règle du jeu officielle WPA (en anglais) : https://wpapool.com/rules-of-play/#9-ball
Le jeu de la 10 (en anglais « 10-ball pool » ou « 10-ball« )
Bien que la variante de la 10 existe depuis fort longtemps, ce n’est qu’assez récemment que la WPA a choisi de mettre en avant ce mode de jeu pour notamment pallier certains défauts de la 9 (trop grande facilité de rentrer une bille à la casse, possibilité de gagner la partie dès la casse, etc.). Sur de nombreux aspects, elle ressemble beaucoup à la 9 mais avec quelques différences qui en font un jeu finalement bien différent de la 9.
Comme la 9, le jeu de la 10 est un jeu de type rotation, où il faut empocher les billes dans l’ordre de leur valeur (soit de 1 à 10 ici) : par rapport à la 9, on ajoute simplement une bille et le rack change de forme, le losange de la 9 est remplacé par un triangle réduit pour la 10. Mais à la différence de la 9, il faut annoncer chaque shoot comme pour la 8 et empocher la 10 au cours du jeu ne conduit pas à une victoire mais simplement à remettre la 10 sur le spot du bas. A la 10, il faut empocher toutes les billes les unes après les autres.
Du point de vue du jeu, le 10-ball est réputé plus difficile que le 9-ball. En effet, entre la casse plus aléatoire et l’impossibilité d’abréger une partie prématurément en empochant la 9, il devient délicat, même pour un joueur aguerri, d’aligner les break and run out. Si l’on retrouve la difficulté propre à la 9 (importance absolue des replacements), la 10 ajoute plus de challenge.
Point(s) d’attention : comme pour la 9, la difficulté principale est liée au replacement d’une bille à l’autre mais la 10 ne laisse plus de place au hasard : s’il faut toujours être vigilant en fin de partie de ne surtout pas laisser la main à son adversaire, il faut être très rigoureux dans son approche de la table et l’élaboration de son pattern car on ne peut plus abréger la partie en empochant la money ball avant le terme.
Stratégie : la stratégie est identique à celle de la 9, à savoir construire très rapidement son pattern pour attaquer la table et la finir. Mais encore davantage qu’à la 9, il faut redoubler de vigilance sur la casse qui s’avèrera plus aléatoire qu’à la 9.
Le coup le plus important : La casse est encore une fois le shoot le plus important mais elle se rapproche de la casse de la 8, réputée la plus aléatoire.
La règle du jeu officielle WPA (en anglais) : https://wpapool.com/rules-of-play/#Ten-Ball
Le 14.1 (en anglais « straight pool« )
Le 14.1 ou 14.1 continu a été le mètre-étalon du billard américain pendant des décennies avant d’être détrôné par le jeu de la 9, puis de connaitre un lent désintérêt au point d’avoir pratiquement disparu des disciplines les plus jouées aujourd’hui. Et pourtant, le 14.1 est sans doute le plus complexe et le plus enrichissant des modes de jeu présentés jusqu’ici.
Le 14.1 est un jeu de type série à l’annonce : chaque bille doit être annoncée et vaut 1 point. Le joueur doit empocher le plus de bille possible pour atteindre un score prévu à l’avance (30, 50, 80, 100 points, etc.). Lorsqu’il empoche la 14e bille, le rack est recomposé à l’exception de la dernière bille de la table (par convention, c’est la bille du haut du rack qui reste vide). Le joueur tente alors d’empocher sa bille tout en cassant le rack suffisamment efficacement pour lui permettre de continuer sa série. Si la dernière bille repose sur l’emplacement du rack, le rack est intégralement reformé, rendant la casse très délicate puisqu’il faut toujours annoncer la bille qu’on compte empocher.
Du point de vue du jeu, le 14.1 est considéré comme l’un des modes de jeu les plus difficile du billard américain moderne. Sous une apparente simplicité (on joue la bille qu’on veut, dans l’ordre qu’on veut pourvu qu’on l’annonce), le mode de jeu s’avère incroyablement riche et complexe car très rapidement, le joueur s’aperçoit que chaque rack doit être analysé avec soin pour trouver quelle bille servira à casser le rack lorsque celui-ci sera replacé. Cela signifie concrètement que le joueur doit anticiper en grande partie la manière dont il va « vider » l’espace du rack et conserver une bille dans la meilleure position possible pour se donner une chance de continuer sa série. Et au-delà de l’effort d’anticipation, le joueur doit également être capable de faire des séries importantes : lorsqu’on sait que la série maximum qu’offrent les autres modes de jeu ne dépasse pas 10 billes, on réalise qu’empocher plus de 10 billes de suite peut représenter une difficulté majeure pour la majorité des joueurs.
Le roi des jeux, le jeu des rois
Steve Mizerak
Point(s) d’attention : le 14.1 est un jeu mentalement exigeant car il nécessite un grand effort d’anticipation et de visualisation de sa séquence, ainsi que des fondamentaux solides pour être à même d’empocher un grand nombre de billes. Les difficultés sont nombreuses : vider la table et particulièrement la zone du rack, sélectionner une bille qui sera conservée jusqu’à la fin pour continuer la série, casser le rack mais pas comme un break classique, conserver sa concentration au-delà de 10 billes, etc.
Stratégie : le straight pool est la discipline la plus stratégique du billard américain moderne (à l’exception du « one-pocket » dont nous ne parlerons pas ici tant il est peu joué) et bien peu de joueur contemporains continuent de la faire vivre, tant les efforts nécessaires pour la maitriser sont peu récompensés au niveau des prize money. En effet, chaque rack doit être analysé avec soin pour en extraire certaines informations : quelle bille pour casser le prochain rack, quelle(s) bille(s) pour se débarrasser des éventuels clusters (groupement de billes), quelle(s) bille(s) présente(nt) un risque pour la suite de la série, etc. Ce n’est sans doute pas un hasard si le record du monde de 14.1 (526 points marqué en 1954) a été détenu par Willie Mosconi pendant près de 65 ans, avant que John Schmidt ne finisse par le dépasser en mai 2019 avec 626 points ! C’est aujourd’hui Jayson Shaw qui détient le record absolu avec près de 714 points établi le 22 janvier 2022.
Le coup le plus important : sans doute le pochage de la dernière bille qui devra casser le rack suivant ! Contrairement aux autres disciplines, le break n’est ici pas affaire de puissance mais au contraire de délicatesse : le but n’est pas d’éclater le rack aux quatre coins de la tables mais plutôt de s’offrir suffisamment de possibilités pour continuer sa série et casser progressivement le reste des billes tout en évitant de faire de risqués allers-retours entre le haut et le bas de la table.
La règle du jeu officielle WPA (en anglais) : https://wpapool.com/rules-of-play/#Continuous-Pool