Qu’est-ce qu’un procédé ? Dans le langage du billard, le procédé désigne la rondelle de cuir qu’on trouve au bout des queues de billard et qui permet de donner de l’effet à la bille blanche lorsqu’on joue. Le procédé est l’un des éléments qui a le plus d’impact sur votre jeu et son choix, comme sa pose, doivent être effectuées avec soin. Tout connaître sur le procédé de billard, ça se passe ici.
Un peu d’histoire
Avant de parler du procédé lui-même, revenons un peu l’histoire de la queue de billard. A l’origine, le jeu de billard que nous connaissons est une version d’intérieur d’une variante du jeu de croquet, très prisée de l’aristocratie française, qui l’aurait fait adapter dès le XIVe siècle en intérieur pour y jouer par tous les temps. Les premières tables apparaissent au milieu du XVe siècle, dont celle de Louis XI en 1469. D’ailleurs, la traditionnelle couleur verte du tapis est un lointain souvenir du croquet, qui rappelle l’herbe sur laquelle on jouait.
Au croquet, le joueur tente de faire passer une boule entre des arceaux à l’aide d’un maillet : c’est l’ancêtre de la queue de billard. Au cours du XVIe siècle, ce maillet évolue pour se transformer en un long bâton doté d’une masse au bout et qui servait à pousser les boules. Le bâton se tenait incliné sur la table, en faisant glisser la masse sur le tapis. Ces bâtons étaient alors nommés « billard », une évolution du mot « lihard » désignant le maillet utilisé pour jouer au croquet. Lorsque la boule était proche de la bande, le coup devenait difficile et il était alors autorisé d’utiliser l’autre extrémité du billard (la queue) pour jouer. C’est en se rendant compte que la visée était bien meilleure dans cette position que les joueurs ont progressivement adopté la forme moderne de la queue de billard (le biseau à l’extrémité des fûts des queues de snooker est un vestige de ce passé). Mais jusqu’au début du XIXe siècle, quand apparait le procédé, la queue de billard était 100% en bois, rendant le moindre effet propice à une fausse-queue !
Officiellement, le procédé de billard est l’invention du capitaine François Mingaud, officier d’infanterie de l’armée française et grand amateur de billard carambole, qu’il aurait crée (ou amélioré) durant un séjour en prison pour raison politique. A sa sortie en 1807, il présente son « invention » en faisant une démonstration de l’effet désormais applicable aux billes. En 1827, il publie un recueil de ses coups les plus spectaculaires utilisant son « procédé ». Pour l’anecdote, on lui attribue également la découverte du massé.
- En savoir plus sur l’histoire des queues de billard : https://quedos.com.au/history-of-the-pool-cue/
- En savoir plus l’histoire du billard : https://en.wikipedia.org/wiki/Cue_sports ou https://fr.wikipedia.org/wiki/Billard
La révolution du procédé multicouche (en anglais « multi-layered tip« )
Entre l’invention du procédé par le capitaine Mingaud en 1807 et l’apparition des premiers procédés de billard multicouches en 1992 (en fait inventé dès 1983 par le japonais Moori mais mis en production seulement à partir de 1992), les procédés étaient tous monocouches, c’est à dire qu’ils étaient taillés dans une chute de cuir épaisse. Mais cela n’était pas sans conséquence sur la qualité et la constance des procédés ainsi obtenus. En effet, lorsqu’on taille un procédé de 4 ou 5 mm d’épaisseur dans une chute de cuir, celle-ci peut présenter des défauts ou des faiblesses à l’intérieur de la chute, invisibles de l’extérieur. Ce à quoi s’ajoutaient des problèmes d’épaisseur car le cuir reste une peau tannée : d’une peau à l’autre, vous avez forcément des variations d’épaisseur, indépendamment du talent du tanneur. La bascule vers les procédés multicouches vient d’abord du manque de constance des procédés monocouches : en effet, dans une même boite de procédé, vous pouviez avoir des produits dont la qualité ou le rendu en jeu variaient énormément d’un item à l’autre. Il n’était pas rare de devoir tester 2 ou 3 procédés avant d’en trouver un dont le rendu en jeu correspondait à ce qu’on attendait ! Pourtant, de nombreux joueurs continuent de faire confiance à des marques comme Tweeten (fabriquant des modèles Elkmaster, LePro et Triangle) ou Talisman.
Le cas des procédés Elkmaster mérite qu’on s’y attarde car ils sont différents des autres procédés monocouches. En effet, les Elkmaster ne sont pas issus d’une chute de cuir mais d’un mélange de fibres de cuir, de coton et de poussière de craie de billard ! Ces éléments sont ensuite assemblés, puis compressés. Malheureusement, ils n’existent qu’en version souple et on ne sait jamais avec certitude quelle sera la dureté exacte du procédé qu’on installe (de Super Soft à Medium Soft). Il faut donc en tester plusieurs pour trouver la dureté désirée. Notez que Tweeten propose désormais une version Pro du Elkmaster qui permet aux joueurs de choisir entre soft, medium et hard. A l’usage, le Elkmaster est un bon produit, facile à poser, très bon marché en version normale, tolérant aux fausses-queues et qui accroche bien la craie. Je le recommande à tous ceux qui aiment les procédés souples mais ne veulent pas investir plus de 20€ dans un procédé multicouche haut de gamme.
Malgré la résistance de quelques modèles de procédés monocouches, les multicouches sont devenus majoritaires chez les joueurs de tous niveaux depuis le milieu des années 1990. Un procédé multicouche est composé de 6 à 15 fines couches superposées de cuir de cochon japonais (japanese pigskin ou boarskin) et collées les unes aux autres. Ce type de cuir propose un grain particulièrement fin tout en restant très souple. Il accroche particulièrement bien la craie. Mais le grand changement concerne la constance des procédés : chaque couche qui va composer le procédé est sélectionnée et celles présentant des défauts sont éliminées avant l’assemblage. Un procédé comme le Navigator (un des meilleurs procédés multicouches du marché) est d’ailleurs composé de couches de différentes couleurs. Outre l’aspect esthétique (et marketing !), c’est aussi une manière de repérer chaque type de cuir utilisé dans le procédé afin de s’assurer de la constance du rendu en jeu de celui-ci.
Néanmoins, les procédés multicouches ne sont pas exempts de défauts, loin de là. Pour commencer, ils ont engendré un marché important où le meilleur (Kamui, Navigator, Zan, Moori, G2, Tiger, Taom) côtoie le pire (contrefaçons à la pelle, pseudo-marques chinoises qui trichent sur la qualité du cuir, couches collées avec des colles inadaptées). Ensuite, il faut souvent mettre un certain prix pour d’assurer d’avoir un procédé de qualité. Honnêtement, en dehors des grandes marques citées plus haut qui proposent des produits entre 20 € et 25 €, c’est un peu la loterie : vous allez parfois tomber sur des procédés exceptionnels ou sur de vraies bouses. Je note cependant que certains outsiders se lancent sur le marché en simplifiant leur processus industriel : ils se contentent parfois d’un seul niveau de dureté (soft ou medium) : c’est le cas par exemple de Mako. Enfin, sa durée de vie reste plus faible que celle d’un procédé monocouche : les Soft et SuperSoft en particulier, ont tendance à durcir rapidement, si bien qu’il est nécessaire de changer son procédé régulièrement si on veut continuer à jouer dans des conditions constantes. En revanche, les problèmes de champignonnage excessif qui touchaient fortement les premières générations de procédés multicouches, semblent quasi-résorbés chez les constructeurs majeurs, même s’ils n’ont pas totalement disparu, surtout en début de vie du procédé (v. plus bas).
Dernier point mais pas des moindres : un procédé de billard multicouche nécessite une pose soignée. C’est une étape délicate pour un simple particulier qui est rarement équipé d’un tour de précision adapté aux queues de billard, mais importante si on veut profiter au mieux de son procédé et protéger son investissement. Bien sûr, avec un peu d’huile de coude, quelques lames de cutter neuves, du papier de verre de différents grains, du scotch et beaucoup de patience, vous pourrez obtenir un résultat correct mais ne vous attendez pas à reproduire la pose impeccable d’un professionnel. Le tutoriel du DrDave ci-dessous est l’un des plus clairs que j’ai pu voir.
Diamètre et forme du procédé de billard
Associé à une flèche d’un diamètre identique, le diamètre du procédé a un impact sur le jeu et la manière de jouer : plus le combo flèche-procédé est petit (entre 11 et 12 mm), plus il donnera des effets puissants, en allant toucher une zone plus éloignée du centre de la bille blanche. En revanche, plus il est large (plus de 13 mm), plus vous serez proche du centre de la bille blanche et moins l’effet sera puissant. Toutefois, il faut garder la tête froide avec les effets, surtout extrêmes : d’une part, ils impliquent des effets de bords pas toujours faciles à anticiper ou contrôler, comme le SIT (« spin induced throw » = décalage induit par l’effet). D’autre part, ils génèrent plus de risque de déviation (en anglais, « deflection » ou « squirt« ) de la bille blanche.
La forme (en anglais, « shaping » = manière dont le procédé est taillé) du procédé a également une influence sur votre capacité à imprimer des effets puissants, même si cet impact est modéré. En effet, la manière dont on taille le procédé de billard modifie le point d’impact du procédé sur la bille blanche, en particulier pour les effets extrêmes (ceux à la limite de la fausse-queue). On considère que de profil, vous devez obtenir une courbe entre deux droites formant un angle de 60° depuis le centre de ce cercle virtuel vers les extrémités du procédé. Cette courbure correspond assez bien à celle des pièces de monnaies américaines, qu’on connait sous les noms de Dime, Nickel, Quarter (par ordre de taille, de la plus petite à la plus grande). C’est pourquoi on utilise communément les termes Dime ou Nickel pour dénommer les shapings les plus communs du billard américain.
Sans constituer une règle absolue, la synthèse suivante peut vous aider à choisir :
- pour les procédés dont le diamètre est inférieur à 11 mm (soit des flèches de snooker), la forme du Dime serait la plus adaptée
- pour les procédés dont le diamètre se situe entre 11 et 13 mm (soit l’immense majorité des flèches), la forme du Nickel serait la plus adaptée
- pour les procédés dont le diamètre se situe au-delà de 13 mm, la forme du Quarter serait la plus adaptée
Quand à savoir lequel du Dime ou du Nickel est le meilleur, c’est davantage une question de croyance et de ressenti que de faits établis scientifiquement ! L’excellent DrDave a proposé une étude qui conclut que globalement, la différence en jeu entre Dime et Nickel est minime et ne se ressent que pour les procédés dont le diamètre est inférieur à 11 mm. Chez les joueurs professionnels, il n’y a pas non plus de règle absolue : Efren Reyes est réputé jouer avec un Dime alors que Shane Van Boening jouerait avec un Nickel, voir un Quarter ! Personnellement, je joue avec un procédé de 11,8 mm taillé en Nickel.
Dureté / densité du procédé de billard
Super soft, Soft, Medium, Hard : voilà comment sont répartis les procédés dans les boutiques spécialisées. Mais que se cache-t-il derrière ces termes ?
Une croyance populaire voudrait qu’un procédé souple (Soft ou Super Soft) donnerait plus d’effet qu’un procédé dur (Hard) car il resterait plus longtemps en contact avec la bille blanche au moment de l’impact. Cet écart de temps serait dû au fait que le procédé souple va davantage « s’écraser » contre la blanche lors de l’impact. Sauf qu’aucune étude sérieuse n’a permis d’appuyer cette affirmation, qui reste un mythe. Autres idées reçues sur ce sujet : un procédé de billard dur favoriserait le phénomène de deflection, un procédé monocouche est forcément plus dur qu’un procédé multicouche. Tout cela est faux.
Une fois ces éléments posés, nous pouvons nous concentrer sur des éléments factuels :
- #1 : Les procédés les plus durs vont restituer plus de puissance lors de l’impact avec la bille blanche alors que les procédés les plus souples vont au contraire l’absorber davantage.
- #2 : Les procédés les plus souples demandent plus d’entretien (re-shaping régulier) et sont plus fragiles (risque de champignonnage) que les procédés plus durs.
- #3 : Les procédés les plus souples durcissent naturellement dans le temps et risquent de perdre rapidement leur singularité, nécessitant un changement plus régulier, là où les procédés durs ne vont pas beaucoup bouger.
- #4 : Sous réserve d’une application correcte, les procédés les plus souples retiennent plus facilement la craie et réduisent le risque de fausse-queue. (C’est sans doute pour ça que certains pensent que les procédés de billard souples permettraient d’appliquer plus d’effet en réduisant la zone de fausse-queue)
En réalité, le choix d’un niveau de dureté pour son procédé relève d’abord du feeling qu’on désire avoir avec sa queue de billard : vous pouvez aimer ou détester le bruit sourd (le fameux « pok » !) d’un procédé hard lors de l’impact comme vous pouvez aimer ou détester le retour d’information qu’un procédé hard vous donne dans la flèche !
Si l’on doit faire un résumé :
Super Soft | Soft | Medium | Hard | |
---|---|---|---|---|
Entretien du procédé | très régulier | régulier | réduit | très réduit |
Feeling | bruit très doux, retour faible | Bruit doux, retour faible/moyen | Bruit neutre, retour important | Bruit fort, retour très important |
Constance dans le temps | très faible | faible | importante | très importante |
Vitesse de la blanche | ralentie | ralentie | – | accélérée |
Vie du procédé et mushrooming (champignonnage)
Sachez encore que votre procédé, qu’il soit mono ou multicouche, va durcir avec le temps. En effet, le cuir va continuer de sécher au contact de l’air (c’est encore plus vrai si vous vivez dans une région aride). Ensuite, la colle entre le procédé et la virole peut perdre de son élasticité et moins bien absorber les chocs. Enfin le re-shaping, signe d’un entretien régulier du procédé, va réduire l’épaisseur du procédé au fil du temps. Sa capacité d’absorption des chocs va donc diminuer. Egalement, le procédé -surtout en début de vie ou s’il est peu cher- peut champignonner. Le champignonnage signifie que votre procédé prend la forme d’un champignon sur les cotés, signe que la colle entre les couches n’est plus aussi efficace ou qu’il s’écrase.
Attention : le champignonnage est aussi un phénomène naturel résultant du shaping initial : dans les premières semaines après la pose, le procédé peut facilement champignonner : ce n’est pas un signe d’usure ou de malfaçon mais simplement qu’après la pose, votre procédé se tasse un peu. Plusieurs marques de procédés, y compris prestigieuses, préviennent que tel ou tel modèle nécessite un (voire deux) re-shaping latéral avant que le procédé ne trouve sa forme définitive.
Le champignonnage va vous imposer de retailler votre procédé. Mais attention, lorsque vous retaillez votre procédé, vous affaiblissez la structure des fibres du cuir et favorisez la perte d’épaisseur de votre procédé. C’est pourquoi l’étape de brunissage (en anglais « burnishing« ) des bords du procédé de billard est indispensable. En effet, en « brûlant » les bords, vous resolidarisez les fibres de cuir, tout en évitant une éventuelle moisissure liée à l’humidité. Mon conseil : lorsque votre procédé est un peu ancien et qu’il commence à champignonner sérieusement, changez-le sans tarder.
Autre point à prendre en compte : la qualité de la colle utilisée pour coller le procédé à la virole. De très nombreux réparateurs utilisent toujours de la bonne vieille colle cyanoacrylate « basique », comme la célèbre SuperGlue 3. Sauf que la SuperGlue 3 de base a un gros défaut : en séchant, elle vitrifie, devient cassante et n’absorbe plus suffisamment les légères torsions que subit le procédé lors de l’impact avec la bille blanche. Dans le pire des cas, votre procédé peut tout simplement tomber ! Cela m’est arrivé une fois avec un procédé collé depuis plus de 5 ans : il s’est détaché et j’ai pu constater que la colle avait cristallisé et s’était réduite en poussière. Mais heureusement, il existe désormais des colles enrichies en caoutchouc ou résistantes aux chocs (comme la SuperGlue 3 PowerGel ou la SuperGlue 3 Professionnelle). Ces colles allient les qualités de la SuperGlue 3 (prise rapide, forte préhension) tout en conservant une excellente capacité d’absorption des torsions et des chocs dans le temps.
Le procédé d’une queue de casse
Le procédé d’une queue de casse est différent de celui d’une queue de jeu. Sa caractéristique principale est son extrême dureté, bien supérieure à celle des procédés Hard des queues de jeu. Le cuir a longtemps été majoritaire mais on trouve désormais des matières synthétiques : dérivés du phénolique, hybrides cuir + matières phénoliques, dérivés du polymère ou de l’élastomère, fibres de verre ou de cuir, voire même matières composites/synthétiques issue de l’aérospatiale !
Cependant, il faut être vigilant dans le choix de son procédé pour sa queue de casse : toutes les compétitions n’autorisent pas les procédés synthétiques (phénolique, élastomère, polymère, etc.) et imposent des procédés cuirs ou assimilés cuirs.
Une petit mot à propos de la virole (« Ferrule » en anglais) sur laquelle le procédé est fixé. Cet embout de matière synthétique (phénolique, ivorine, polycarbonate, thermoplastique, mais aussi bois ou même tungstène !) sert à absorber les chocs du contact avec la bille blanche et éviter d’endommager le bois de la flèche. Dans le cas d’une flèche standard, la virole n’a qu’un impact limité sur votre jeu. Mais dans le cas d’une flèche Low Deflection (voir mon article « Faut-il acheter une flèche Low Deflection« ), la virole sert aussi à réduire le poids sur l’avant de la flèche : elle forme un duo avec le procédé, qu’il convient d’associer correctement. Donc si vous envisagez d’installer un procédé de Break sur une flèche standard pour recycler une ancienne queue, pensez à changer la virole pour un modèle plus résistant (par exemple, en phénolique) ou au moins, à rajouter un pad d’absorption entre la virole et le procédé, si ce dernier n’en propose pas.
Autre point à surveiller : vous ne pouvez pas mettre n’importe quelle colle sur les procédés synthétiques, au risque de créer une réaction bizarre (par exemple, votre procédé peut fondre) ! Regardez bien en quelle matière votre procédé est fait et n’hésitez pas à demander conseil à la boutique qui vous l’a vendu pour trouver la bonne colle.
Le procédé de queue de casse, surtout synthétique, est souvent très difficile à poser et travailler pour un particulier qui n’est pas équipé d’un tour de précision adapté. Si vous choisissez un procédé autre que cuir (et encore, vu la dureté de ce type de cuir, attendez-vous à galérer !), vous serez sans doute contraint de trouver un professionnel pour vous poser votre procédé correctement (à l’image de la vidéo ci-dessous présentant la pose d’un procédé de break Taom 2.0, un procédé synthétique) :